Les Orcs et Gollum chez Tolkien
Bonjour à tous, je vous propose aujourd’hui une petite étude sur Tolkien que j’ai lue dans un chouette recueil (inutile de préciser mon envoûtement pour l‘univers de l‘auteur !! ). J’ai emprunté cet ouvrage complètement au hasard, et j’avoue n’avoir pas eu le temps de lire toutes les études à propos de l'hybridation mais je vous suggère ici un condensé de la recherche de Nathalie DUFAYET, intitulée « Représentation(s) et portée(s) de l’hybridation chez Tolkien : Les Orcs et Gollum. » Les petites notes entre crochet sont de moi-même.
[ Souce : Détours et hybridations
Dans les œuvres fantastiques et de science-fiction.
Collection « regards sur le fantastique »
Ce volume collectif est le résultat des travaux accomplis par les membres du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Littératures de l’Imaginaire (CERLI) en 2002 & 2003, en coopération avec l’Université de Paris XII. Il aborde la question des détours et de l’hybridation dans les œuvres fantastiques et de science-fiction, autrement dit la question des territoires et des frontières génériques […]. ]
« L’univers de Tolkien est majoritairement composé de personnages dont la caractérisation, merveilleuse et surnaturelle, doit fortement agir sur la sensibilité du lecteur. Il en est ainsi des Ents, gardiens ancestraux des arbres, d’Ondine, fille de la rivière et compagne de Tom Bombadil et des Elfes. Tolkien a façonné ces derniers selon un modèle chevaleresque et un véritable idéal esthétique personnel [ Cf que ce peux nous apporter la lecture du Silmarillion ]. Dans le Silmarillion, toute création hors du pouvoir et de la pensée d’Eru (ou Illúvatar) est théoriquement (et théologiquement) exclue. Eru est alors l’unique inventeur de toutes les formes existantes et le seul gérant de leur activité substantielle. Et ce depuis la création des premiers individus jusqu’à l’évolution historique des générations successives, du Premier au Quatrième Âges et, enfin jusqu’à leur Jugement Dernier, placé à la Fin des temps. Deuxièmement, toute créature présentant un quelconque écart devient, significativement, «contre nature » et par conséquent, maléfique. C’est pourquoi toute figure représentant une hybridité quelconque est marginalisée au sein de ce monde placé sous l’égide du Dieu Unique. C’est du moins ce qui semble s’illustrer et se répéter dans le roman de Tolkien, narrativement & poétiquement et idéologiquement.
I) Les êtres hybrides, en marge du « Monde Secondaire » [ expression employée par Tolkien à propos de son œuvre qui entretient un rapport révérencieux au « monde primaire » ]
Les Orcs et Gollum sont marginaux car ils échappent au mode de représentation féérique & merveilleux, majoritaire dans l’œuvre. La fonction première des personnages est de véhiculer telle ou telle valeur afin de renforcer le code idéologique régissant ce « monde possible ». Ainsi Aragorn, futur roi d’Arda représente la paix et la justice, Gandalf la sagesse et Frodo & Sam le courage et l’abnégation, etc. C’est le phénomène inverse qui a lieu pour les Orcs et Gollum. Ce sont la déchéance, la corruption et le mal qui fondent le caractère construit de leur expérience.
a) Histoire des Orcs
Dans le Silmarillion, nous lisons : « Pourtant, on dit en Eressëa que tous ceux des Quendi qui tombèrent entre les mains de Melkor avant le démantèlement d’Utumno furent jetés en prison, qu’ils y furent corrompus et réduits en esclavage après de longues et savantes tortures, et c’est ainsi que Melkor créa la race hideuse des Orcs, dans sa haine jalouse des Elfes, dont-ils furent ensuite les ennemis les plus féroces. » P 67, traduction de Pierre Alien pour l’édition française Folio, Paris 2001.A noter que le traducteur opte pour le verbe « créa » au lieu de conserver le sens fondamental de l’infinitif « breed », qui dénote l’idée d’un véritable élevage.
Ces créatures sont le croisement de deux parents. L’auteur construit son schéma narratif avec le premier sens du terme « hybride » qui vient du latin « hibrida », c’est-à-dire « de sang mêlé ». L’hybridation est le symbole du mal et un indice d’impureté en Terre du Milieu.
Tolkien construit une progression dynamique à partir du symbole maléfique que figure l’hybridation, au sens d’une action d’hybridation condamnable. Nous avons l’image d’une souillure infligée dans les temps premiers du monde. Cela incite à une réflexion sur la morale, la faute, la malédiction, la culpabilité (cf aussi le contexte apocalyptique d’après guerre dans lequel Tolkien vivait).
b) Histoire de Gollum
L’aspect monstrueux de Gollum est différent de ce que nous avons vu précédemment, étranger à la corruption extérieure et la dépendance de sa volonté. C’est uniquement par libre-arbitre que cet individu a lui-même causé cette métamorphose dégradante. Sméagol a succombé d’amour pour le monde interdit des profondeurs. Il est exclu par sa communauté. Lorsqu’il est renommé, cela est le signe d’une mort symbolique irréversible. Le choix de « Gollum » est dû à des gargouillis incessants et inquiétants. […] Son corps, d’une forme hobbite, s’est hybridé avec une forme batracienne ou arachnide. Son esprit est rongé par l’influence maligne de l’Anneau, et on remarque le dédoublement prononcé de sa personnalité. On assiste à une véritable déshumanisation de sa réalité extérieure et intérieure.II) Sens et fonction de ce phénomène dans l’éthique et la poétique tolkiniennes.
La langue du Mordor, celle des Orcs, doit mimer en priorité la dureté implacable qu’évoque cette région et la ténébreuse puissance qui l’habite, Sauron, vassal de Melkor.
« Ash nazg durbatulûk
Ash nazg gimbatul
Ash nazg Thrakatulûk agh bruzum-Ishi Krimpatul »
[« One ring to rule them all,
One Ring to find them,
One ring to bring them all and in the darkness bind them in the Land of Mordor where shadows lies » ]
La phonétique est strictement inverse à la langue elfique. Le mode d’articulation est une preuve irréfutable car naturelle de la parenté et de l’éloignement entre les Elfes et les Orcs.
L’auteur nous offre une variété de réseaux sémantiques liés à l’idée de mélange qui contribue à approfondir la structure et la consistance du spectacle fictionnel.
Les Orcs et Gollum et la rupture qu’ils occasionnent au sein de la représentation merveilleuse du mode Tolkinien engage en réalité un discours distancié de l’écriture sur elle-même. […] »